Poème de la semaine
Quand elle était très petite, Lucia Pelaez lut un roman en cachette. Elle le lut par petits bouts, nuit après nuit, en le cachant sous son oreiller. Elle l'avait volé dans la bibliothèque en cèdre où son oncle gardait ses livres préférés.
Plus tard, Lucia marcha beaucoup, tandis que passaient les années.
A la recherche de fantômes, elle marcha sur les rives escarpées du fleuve Antioquia et chercha des gens dans les rues des villes violentes.
Elle marcha beaucoup et, tout au long de son périple, elle était sans cesse accompagnée par les échos de ces voix lointaines qu'elle avait écoutées avec ses yeux dans son enfance.
Lucia n'a jamais relu ce livre. Elle ne le reconnaitrait plus aujourd'hui. Il a tellement grandi en elle qu'il est autre désormais, maintenant il est sien.
Eduardo Galeano
extrait de Le livre des étreintes, éditions Lux. Traduction de l'espagnol (Uruguay) par Pierre Guillaumin.